Une fois n'est pas coutume, cette chronique est rédigée en français. Parce que Suprême NTM (que, dans un souci de concision nous abrévierons en NTM pour le reste de cet article) est un produit de son environnement et de son époque. Ce qui veut dire que si vous n'avez pas connu la France du début des années quatre-vingt-dix, il y a peu de chances que vous soyiez ému à l'idée que NTM ait donné hier soir son dernier concert. Si, si. Juré, promis, glavioté! On ne les y reprendra plus.
Comment? Ils nous ont déjà fait le coup? Deux fois? Bah, Aznavour aussi tiens. Et maintenant il est obligé de tenir parole, lui.
Bercy (que je me refuse toujours à appeler Accorhotels Arena) est plein comme une femme enceinte. Car ce soir, c'est la der pour NTM. Plus rien à prouver, et peut-être aussi plus rien à dire. Alors qu'est-ce qu'on fait quand on sait qu'il n'y aura plus d'après, à Bercy, en Seine Saint Denis ou à Saint Germain des Prés?
Et bien on danse. On boit. On baise. On fait du bruit, on fait la fête, on chante, on rit, on pleure aussi un peu. J'en ai vu. Il n'y a pas à avoir honte.
En toute honnêteté, le rap n'a jamais été ma came. Le rap français surtout. Mais là, on touche à autre chose. Un truc qui a été au delà de la musique. Un truc qui a marqué toute une génération. Peu importe si vous étiez noir, blanc, fils de bourge, descendant d'immigré... Peu importe que vous connaissiez la réalité dont NTM faisait la chronique en 1995 dans Paris Sous Les Bombes... Si vous avez eu quinze ans à un moment entre 1989 et 1999, NTM vous a parlé.
Évidemment, aujourd'hui, c'est autre chose. Vous avez du bide, un crédit, moins de cheveux peut-être aussi. Et NTM ne représente peut-être plus pour vous qu'un morceau de nostalgie. Et alors? Est-ce si indigne? La joie des quadras et quinquas qui sont là à sauter, scander, s'enivrer, est-elle moins légitime, moins pure parce qu'elle est teintée de mélancolie?
Pfffff... Navré, c'est lourd. Je sais. Alors, quoi? Bien qu'ils aient tous deux allègrement dépassé le demi-siècle, Kool Shen et Joeystarr restent de redoutables bêtes de scène. La formule est bête, usée, mais apte. Performers, mais pas posers. Entre complicité et confrontation, sport et poésie, meurtre et sérénade. Accompagnés de certains de leurs acolytes (les gars du collectif IV My People, Busta Flex...), ils ont offert à Suprême NTM la mise en bière que ce groupe méritait. Mise en bière retransmise en direct sur France 4... Imaginez un peu. Un concert de Suprême NTM en direct sur une chaîne publique! Impensable il y a vingt ans. Récupérés? Mais alors par qui? Vendus? Mais alors à qui? Non. La fin logique, cohérente d'une carrière exemplaire. Et un quart de siècle qui aura coulé... Les décideurs d'aujourd'hui ont été biberonnés à NTM. Qu'on le veuille ou non. Et ce soir, c'est la quille.
Les salauds, ils nous on tout fait. On a eu droit à On Est Encore Là en ouverture, et puis Qu'est-Ce Qu'on Attend... Passe le Oinj, Tout N'est Pas Si Facile, Chacun Sa Mafia, Pose Ton Gun, Paris Sous Les Bombes, Seine St Denis Style, Laisse Pas Trainer Ton Fils, Ma Benz... Tout, on vous dit. Et dans la fosse de Bercy, des enfants et des grands-parents qui reprenaient en choeur ces paroles pour la plupart tristement d'actualité encore, vingt-cinq ans après.
Le FN au deuxième tour, les banlieues qui brulent, les Gilets Jaunes... Ils le savaient. Ils l'avaient chanté. Ils l'avaient vu. Ils nous avaient prévenu. Et maintenant ils tirent leur révérence afin de ne pas finir comme Renaud. Bien vu.
J'imagine que demain matin, nous allons tous morfler. Ceux qui étaient dans la fosse comme ceux qui étaient sur scène. Courbatures, gueules de bois. Et ce n'est même pas ça qui fera le plus mal. On ne reverra pas NTM, pas plus que l'on reverra nos vingt ans.